I
J’avais à peine vingt ans lorsque j’ai rejoint le club. D’ailleurs, il m’eût été difficile d’y entrer avant dans la mesure où j’en ignorais l’existence. Si j’avais croisé certains de ses membres dans la rue, je les aurais pris pour quelques marginaux, des âmes troublées, de gentils dégénérés. Je sus après que le club ne comptait que trois personnes et qu’ils ne recrutaient pas nécessairement. Bref, je m’en vais vous raconter ma rencontre avec leur univers, aussi passionnant qu’insensé.
Je venais de rompre avec ma copine de l’époque. Manière de dire qu’elle m’avait jeté comme une merde. Je m’en doutais, on était trop jeunes pour que ça perdure. On avait des expériences à vivre, trop de choses à voir et à faire pour s’enliser dans les compromis. On a beau s’y préparer, ça vous fait l’effet d’un coup de massue sur la tronche. J’étais resté un moment immobile, hébété sur les lieux du crime, un square près du jardin du Palais-Royal.
Plus tard dans l’après-midi, j’entrais dans un bar, lunettes de soleil vissées sur la face. Ça m’avait permis de faire illusion dans le métro. J’étais plus proche de la rockstar en gueule de bois que du gamin rempli de chagrin. Du moins, c’est ce que j’imaginais.
Bref, je décidais de m’installer dans ce troquet quelconque, sorte de PMU sans charme, pour éviter de croiser une connaissance et attendre que ça passe. C’était ça le plan. Je souhaitais que ma vision trouble soit due à l’alcool plutôt qu’aux larmes qui se pressaient sans cesse sur mes joues ces dernières heures. Je commandais un premier Picon. Depuis le comptoir, j’observais le mur rempli de bouteilles d’alcool, alignées négligemment depuis des lustres. Les mêmes sempiternelles marques qui ont bousillé le cerveau de tant de générations.
Je pensais donc être tranquille ici, dans ce lieu dédié à la destruction lente et solitaire. C’était sans compter une présence oppressante à ma gauche. Un type bien buriné par la vie et les levés de coude qui me fixait de ses yeux vitreux.
- Et pourquoi que tu gardes tes lunettes de soleil à l’intérieur ? C’est encore une nouvelle mode chez les merdeux du VIIIe ?
- Laisse Pierrot, lança le barman derrière le zinc alors qu’il essuyait nonchalamment un verre à coup de torchon.
- C’est pour ne pas être ébloui par votre connerie.
- Allons allons messieurs, on se calme. Tiens Pierrot, je te remets un blanc.
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