Blog Littérature : nouvelles, poémes, histoires courtes et jeux d’écriture

Le blog de littérature CYNIQUETAMERE est avant tout un lieu d’expérimentations littéraires : poésie, nouvelle, jeux d’écriture, etc. L’idée étant de s’imposer une rigueur et une fréquence de publication afin de peaufiner sans cesse notre style d’écriture et de narration.

nouvelle politique le dictateur altruiste

Le dictateur altruiste – nouvelle politique

*

« Mes chers compatriotes, je vous ai menti. De toute manière, vous ne m‘avez pas élu pour mon programme, personne ne les lit vraiment. Je ne respecterai pas le mien, cela va de soi. Vous m’avez peut-être élu car j’apparaissais comme le moins pire ; pour contrer untel, suivre la tendance ou simplement parce que je m’exprime relativement bien. Sur ce dernier point, je tiens sincèrement à vous remercier. Nous avons eu le président normal, vous aurez désormais un dirigeant transparent. Eh oui peuple français, j’ai menti durant l’intégralité de cette campagne présidentielle dans le seul but de la remporter et de pouvoir vous présenter aujourd’hui mes véritables intentions. Cette manœuvre est hautement condamnable j’en conviens, malhonnête je le concède, consternante je suis d’accord, effrayante je le conçois. Elle s’est avérée l’unique procédé pour imposer des lois fortes, justes et nécessaires.

École, Emploi, Europe. Franchement, vous y avez cru à ce triptyque poussiéreux et hypocrite ? Mon projet se veut le plus ambitieux jamais porté. Pour le réaliser, nous allons devoir faire des sacrifices, des concessions. Je ne peux vous garantir une transition en douceur. Les changements seront radicaux, parfois brutaux pour certains ; aussi violents que les défis qui nous assaillent.

Écologie, Équité, Épanouissement, voilà mon véritable slogan.

Ma première mesure est la suivante : modifier la constitution afin d’octroyer les pleins pouvoirs au président de la République avec effet immédiat.

Mesdames, messieurs, Françaises, Français, je serai pour les prochaines années votre dictateur. Dictateur certes, mais un dictateur altruiste. La fermeté au service du bien-être collectif.

J’entends déjà les voix s’élever. “Comment ? Une dictature en France ? Vous n’avez pas honte de bafouer notre belle et solide démocratie ?” À celles-ci je répondrais que la démocratie à bon dos. Tantôt brandie comme prétexte à la guerre dans de lointains pays aux sous-sols riches, tantôt balayée sur notre propre territoire lorsqu’il s’agit de faire passer quelques lois impopulaires. Ma dictature se veut au service du peuple. Des mesures fortes pour le bien de tous et pour une répartition des richesses plus égalitaire. Le fameux ruissellement semble s’être heurté à une canalisation bouchée.

“Communiste ! Sale rouge !“. Il est vrai que mon projet emprunte certaines des théories fondatrices du communisme, à cela près que je compte bien les imposer, ces règles de partage et d’entraide.

Vive la nature, humaine et originelle, vive la France !” »

**

Il est cinq heures, Paris s’éveille sous un léger brouillard. Il fait écho aux sentiments confus qu’éprouvent la plupart des âmes du pays. Un flou artistique vient envelopper les élections les plus ubuesques jamais observées. Plus fort que les États-Unis, il fallait le faire ! Corentin, 22 ans, se lève discrètement pour ne pas déranger Manon, accablée d’un sommeil profond. Il se dirige vers la cuisine, traînant son corps longiligne et disloqué. Perdu dans ses pensées, embrumé par l’onirisme évanescent qui se heurte aux évènements de la veille, il prépare son café.

En attendant que le nectar ne soit propulsé hors du conduit central de la cafetière par le truchement de la vapeur sous pression, il se plonge dans les récentes actualités. Son écran de téléphone éclaire sa face juvénile d’étudiant en sciences politiques.

Le jour commence à poindre timidement alors qu’un sifflement émane de la gazinière. Corentin, décontenancé par les quelques brèves qu’il a glanées, décide de lancer la radio pour espérer des éclaircissements quant à la situation électorale, mais surtout pour convoquer une présence à ses côtés en cette matinée si troublante. Quelques minutes plus tard, Manon fait irruption dans la cuisine. Les cheveux en bataille, le visage encore légèrement bouffi et son corps dissimulé sous un t-shirt XXL.

  • Pardon, je t’ai réveillé en allumant la radio ?
  • Non non t’inquiète, j’ai envie de savoir s’il y a du nouveau moi aussi.
  • Écoute, c’est toujours une sacrée pagaille. Les partis concurrents et le président sortant y voient une chance d’annuler le scrutin et de relancer des élections. Bizarrement, l’armée est muette sur le sujet. On parle également d’un mouvement de grève gigantesque si le régime de dictature est confirmé.
  • Wow, il faut peut-être envisager de quitter le pays non ?
  • C’est une possibilité. On n’a pas évoqué ce cas de figure en cours, mais si on s’appuie sur le Vénézuéla ou bien le coup d’État au Brésil en 64 ça ne sent pas bon du tout.
  • Fiou, quelle histoire. Ça commence à me faire paniquer. J’ai un peu de famille en Suisse, je vais les contacter.
  • Après, certains commentateurs n’excluent pas le canular. Même si Thierry Panama ne sort pas de nulle part, sa carrière politique demeure récente et assez peu fournie.
  • C’est étrange comme canular, mais j’espère de tout coeur que ce soit seulement ça.
  • De toute façon, une grande interview est prévue ce soir à 20h. On devrait être fixé à l’issue de celle-ci.
  • Sur quelle chaîne ?
  • Toutes.
  • Oula, ça part mal…

(suite…)

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[-16] Sans Fil – histoire érotique

Comme chaque vendredi matin, je me lève tant bien que mal, maudissant cette pathétique sonnerie qui m’extrait du sommeil. Y’a pas à dire, c’est encore plus dur de se réveiller lorsqu’on n’a pas d’obligations. Pas de femme ni de patron pour vous forcer à entrer dans une énième journée, copie quasi conforme à celle de la veille. Je me passe de l’eau sur le visage, observe ma mine lasse et descends les deux étages de ma résidence. Une inspection quotidienne dans la fente de la boîte aux lettres me renfrogne un peu plus. Toujours rien. Cela fait bientôt deux mois que j’ai envoyé mon manuscrit à la plupart des maisons d’édition que je connais. J’ai fait ça à l’ancienne, sur un beau papier relié. Ça m’a coûté un bras et une parcelle de forêt à bien dut y passer quelque part.

D’une démarche un brin mollassonne, je me dirige à la cave et y sors ma bicyclette. Un vieux bolide Peugeot qui grince. C’est une plaie dans les montées, mais je l’aime bien. Une longue descente m’amène en centre-ville. Malgré les nuages, l’air est doux. Un vent légèrement iodé lèche mon visage, la vitesse y fait poindre quelques larmes. Je me faufile à travers un embouteillage. Voir tous ces cons coincés dans leur voiture me redonne le sourire, j’arrive aux abords du Nelly’s. J’attache mon vélo à un poteau, sur le trottoir d’en face. Il ne vaut rien, mais j’y tiens et je préfère pouvoir garder un œil dessus.

Le café ressemble à la plupart de ces lieux branchés. Trop sains, trop chers, mais soyons honnêtes, on s’y sent bien. Une jolie blonde m’accueille tout sourire. Elle a une queue-de-cheval et un tablier, il n’en faut pas plus pour attiser un début de désir. D’autant qu’elle me rappelle une fille que j’ai connue à l’université, aussi excitante qu’agaçante. Une boule de nerfs que l’on meurt d’envie de mater. Jusqu’à quand vais-je conserver ces réflexes adolescents faisant naître des pensées obscènes à chaque nouvelle rencontre ?

Aussitôt, je me recentre sur l’objectif de ma venue, à savoir noircir quelques pages blanches de ma prose balbutiante. Je sors un calepin élimé et l’ordinateur pour quelques recherches éventuelles. Je commande un café au lait, un œuf au plat et deux tartines beurrées sans m’attarder sur le corps de la serveuse. Je griffonne le plan d’une nouvelle à la va-vite puis, ingurgite mon petit déjeuner américain en espérant qu’il déclenche quelques inspirations bukowskiennes. (suite…)

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Canicule et cœur glacé – histoire courte

Voici venu le moment de parler de mon crime. Non pas qu’une quelconque instance juridique m’y oblige. D’ailleurs, est-ce vraiment un crime ? Isolé de toutes circonstances, mon acte est odieux, j’en conviens. Mais laissez-moi vous conter les événements ayant fait naître en moi cette pulsion abominable.

Une chaleur harassante. De celle qui vous empêche de dormir. Qui vous étreint dès les premières lueurs du jour et qui resserre son emprise tout au long de la journée. L’atmosphère est lourde, pesante, au point de vous faire suffoquer et d’altérer votre réflexion, votre esprit de discernement. On sent une tension dans l’air. Les nerfs sont à vif lorsque la mollesse et l’oisiveté nous sont imposées.

Attendez chers lecteurs. Je ne suis pas en train de justifier mon forfait par une mauvaise nuit et quelques excès de température ! Je pose le cadre de cette journée épouvantable, voilà tout. La sueur perlait le long de mon dos. Dès lors que je levais le bras pour éponger mon front moite, une odeur acide et nauséabonde venait embaumer mes narines. C’était encore le matin. Les minutes semblaient des heures. C’est alors qu’à germé l’idée en moi.

Ma femme m’avait pourtant interdit de l’approcher. Elle connaît mes sautes d’humeur et mon absence de réflexion lorsque je suis à cran. À cet instant précis, je n’avais cure de ses injonctions. Toutes mes tentatives pour trouver de la fraîcheur furent vaines ou trop éphémères. Douche glacée, éventail, ventilateur qui brasse l’air chaud et autres subterfuges n’ont pas réussi à m’apaiser. J’avais un réel besoin de m’extirper de mon corps, de me focaliser sur autre chose. Aveuglé par mes envies d’évasion, par la nécessité d’oublier un temps cette touffeur qui m’oppressait, je me suis donc dirigé doucement vers l’objet de ma convoitise, vers le lieu défendu.

Elle était seule. (suite…)

Les deux amants – nouvelle anticipation/SF

I

C’est encore beau. Les falaises ne sont plus qu’un amas de roches grignotées çà et là. Le petit phare de Biarritz, emblématique de la côte, a disparu lors d’un énième éboulement. L’énorme bloc de pierre coiffé de touffes d’herbes, et dont les excavations achèvent de lui donner la forme d’une tête, est toujours là lui. Un gardien serein et passif que l’on imagine se réveiller à tout moment tellement ses traits évoquent un visage.

De la vapeur d’eau émane de l’océan dès les premiers rais que darde le soleil. Et ça fait “shhhh”, comme pour sommer à la vie de se taire. Il a perdu de sa superbe. Son niveau a certes gagné plusieurs mètres sur le littoral ces dernières années, mais à quel prix ? Si son ballottement de part et d’autre du monde continue d’alimenter un incessant ballet de vagues et de ressac, sa couleur bleue s’est troublée. Il transporte désormais un florilège de déchets ; une mélasse répugnante qui tourbillonne en surface.

Il est 6h du matin, il fait pas loin de 45°. C’est le signal. Deux adolescents sortent de leur grotte tels des nuisibles chassés frénétiquement d’un paysage devenu hostile. Les yeux humides, le cœur ardent, et la peau tellement sèche qu’elle pourrait s’effeuiller.

– Cela va finir par se voir.
– De quoi ?
– Les brûlures et les cloques.
– On n’aura qu’à dire que ça date du dernier effondrement, quand le jour a percé dans la galerie Est.
– J’ai peur Laorens.
– Moi aussi j’ai peur Saubade, mais ton visage au lever du jour est la seule chose qui me fasse tenir.

Les jeunes amants remontent à la hâte la plage couverte d’une bâche et la route peinte en blanc jusqu’à l’entrée des souterrains. Ils doivent rejoindre leur dortoir respectif avant l’alarme générale. Ils se retournent une dernière fois vers le rivage, vers la plage de la petite chambre d’amour, puis s’observent intensément, comme pour graver leur image jusqu’au prochain rendez-vous. Leurs traits, dégradés prématurément, sont pareils à la nature environnante : étiolés, saccagés, tristes, mais encore beaux.

II

L’atmosphère est pesante, humide, poisseuse. Le bruit des machines œuvrant sans relâche maintient une cacophonie permanente dans les galeries. Les sons ricochent sur les parois moites jusqu’à atteindre les oreilles éreintées de la population au repos.

Laorens et Saubade rejoignent leur couche juste à temps. Mais avant que l’alarme ne retentisse, un grondement sourd se fait ressentir de toute part, sortant les humains de leur inextinguible abattement. L’armée, craignant une nouvelle percée du soleil des suites d’un éboulement, déclenche le protocole 2. Les plus fragiles attendent le signal pour se réfugier en profondeur tandis qu’un robot part inspecter la zone. Les grondements ne faiblissent pas, au contraire, ils semblent s’intensifier en divers points au-dessus de leur tête… (suite…)

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Femme d’altitude

Hier

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours attisé les convoitises. Bien avant de comprendre les codes du désir, les jeux et les enjeux de la séduction, je voyais dans les regards cet éclat que je faisais surgir. Si j’en ai joué, c’était involontaire, guidée par une innocence infantile. Je n’y pouvais rien, c’est dans ma nature. Ma naissance fut un choc, pour mes géniteurs comme pour mon entourage. Un véritable séisme dans un décor si paisible. Ainsi, j’ai grandi dans de grands espaces, entourée d’une ribambelle d’autres enfants.


On nous appelait les enfants de la Terre. Sans doute par rapport à la rencontre de nos parents. Mon moment préféré était l’hiver, je pouvais sortir le grand jeu. D’un naturel coquet, je me parais de mon plus beau manteau et j‘observais l’attractivité, presque incontrôlée, que je provoquais sur certains. La vie était plutôt douce, à part quelques tumultes passagers, la cohabitation avec les Hommes se déroulait à merveille. Cependant, les yeux qui me scrutaient subtilement, de loin, avaient tendance à se rapprocher. Plusieurs personnes ont commencé à m’aborder, plus ou moins délicatement. Ils voulaient me connaître davantage, m’étudier, me sonder, alors je me suis autorisé quelques aventures.

Moi qui suis sédentaire, non par choix, mais parce que je suis ancré solidement au sol, je n’étais pas contre vivre des expériences pour casser le quotidien. Toutefois, il ne faut pas se méprendre. Le spectacle des saisons qui se succédaient devant mes yeux, ce panaché de couleurs, d’odeurs enivrantes, avait peu de chance de me lasser un jour. J’ai tout de même suivi avec intérêt l’arrivée de ces petits êtres qui ne tenaient pas en place ; qui grouillaient, fourmillaient et redoublaient d’inventivité pour remplir leur existence.

Je n’ai jamais eu à faire le premier pas. Les gens venaient à moi. Tout d’abord de rares curieux, des marginaux un brin fêlés à dire vrai ; attirés par ma beauté, mon danger et mon mystère. Il est vrai que j’en impose. Je n’ai jamais vraiment cessé de grandir et il arrive que les nuages côtoient la pointe de mon crâne. Ils ont été de plus en plus nombreux à s’intéresser à moi. Si la plupart demeuraient prudents, sages et conscients de leur chance, mais aussi de leur vulnérabilité, d’autres étaient tout bonnement aveuglés par leur intrépidité.

Aujourd’hui (suite…)

le temps des merises nouvelles

Le temps des merises

Quelle patience, quelle abnégation de la part de ce merisier. Le mois de mai est synonyme d’éternel recommencement dans ce village de Drôme provençale. Non pas à la manière d’une vieille rengaine, redondante et dépassée non, plutôt comme un rendez-vous récurrent qui nous surprend toujours. On a beau l’expérimenter chaque année à la même époque, ce phénomène de floraison nous émeut à tous les coups. Je nous soupçonne de feindre l’amnésie, de questionner sa venue chaque hiver pour mieux nous laisser cueillir par sa douceur. Et si le miracle des bourgeons était notre ultime lien intergénérationnel ? Petits et grands s’émerveillant du retour du printemps. De cette nature à la fois brute et complexe, dure et fragile, logique et mystérieuse.

Il a toujours été là, planté majestueusement au fond de notre cour. Dans mes yeux de bambin, il semblait chatouiller les cieux lorsque son feuillage vert s’extirpait de ce pelage rugueux. Sans âge, il trônait massivement au gré des éléments, des saisons et du voisinage. Il a été un formidable outil d’apprentissage pour tous les garnements des environs. Sa robustesse mise à rude épreuve en a calmé certains, même les plus prétentieux. Aveuglés par un trop plein de jeunesse nous étions trop sots pour saisir la magnificence de cet être. “On touche avec les yeux” nous répétait la grand-mère au sujet des belles choses, des objets précieux. Voilà un précepte tout à fait approprié à ce merisier. En plus de résister aux viles attaques à coups de pied, aux impacts de ballons de football ou à de vilains ongles arracheurs d’écorce il a dû subir nos concours d’escalade. (suite…)

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Le serpent tueur

I.

18h09. Un mois de février qui remplissait la capitale de sa morosité annuelle. Éreintés par la grisaille incessante et les journées amputées de précieux halos de lumière, on languissait le printemps. Les petites gens trépignaient à l’idée de reprendre les virées dominicales hors de la ville ; à bord d’une AMI 6 rouge criarde ou d’une 404 rutilante pour prendre d’assaut les campagnes d’Île-de-France.

Le corps inerte d’une trentenaire gisait au beau milieu d’un salon modeste. Sa posture, face contre terre, l’arrière-train pointant droit vers le lustre, pouvait prêter à sourire. La mort perd toute crédibilité face à ce genre de scène cocasse. L’inspecteur Hike demeurait impassible. Des années à côtoyer le crime l’avaient rendu flegmatique, presque froid. Pourtant il écoutait d’une oreille assidue le récit de la voisine à l’origine du signalement tout en analysant minutieusement les lieux de son œil averti. Un grand bruit avait alerté cette brave dame d’origine portugaise qui, après avoir tambouriné à la porte, avait pénétré dans l’appartement pour y découvrir l’affreuse réalité. L’inspecteur, sous son air las et renfrogné, cogitait déjà à plein tube.

Pourquoi la mort ne semble-t-elle pas venir de la blessure à la tête ? Cette voisine est-elle crédible ? La porte était-elle vraiment ouverte ? Et pourquoi cette posture ridicule ? Est-ce un message d’un éventuel assassin ou un malheureux accident ?

En ouvrant la fenêtre du salon pour dissiper tant bien que mal les reflux mortifères du corps pourtant fraîchement dépourvu de vivacité, il perçut au loin le toussotement caractéristique de la vieille DS de son acolyte, François. “Son taco est aussi fiable que ses capacités cognitives”, se formulait Hike. Attendant que l’autre phénomène daigne enfin se joindre à l’enquête, il en profitait pour faire le tour du logis. Un logement somme toute classique d’une employée lambda en périphérie de Paris. Un plancher qui gémissait sous chaque pas, une tapisserie un brin jaunâtre, des meubles çà et là ; plutôt acquis pour leur fonctionnalité que pour un quelconque souci d’harmonie intérieure. Un transistor noir écaillé posé sur une enfilade au bois clair faisait face à un secrétaire calé en diagonale dans un coin de la pièce regroupant salon et cuisine. Quelques assises arrangées autour d’une table basse venaient proposer un semblant d’espace cosy au centre de la pièce. Dans l’unique chambre, le minimalisme était total, hormis la présence d’un petit oiseau coloré pépiant à l’intérieur d’un dôme en fer forgé.

  • Aaaaah !! Mais c’est quoi ce truc ?!
  • Tiens te voilà, j’aurais dû me douter que ta présence allait m’agacer davantage que ton retard. Pour répondre à ta question, pas besoin d’ouvrir un dossier pour voir qu’il s’agit tout bonnement d’une cage accueillant un volatile.
  • Désolé inspecteur, j’ai horreur des piafs. Depuis que j’ai vu ce film dans lequel ils s’attaquent aux humains, c’est devenu une véritable phobie.
  • Enfin, nous ne sommes pas dans un film et cet espèce d’ara ne dépasse pas les 10cm. Bref, un topo sur la situation ça vous intéresse ?
  • Oui merci chef, désolé pour le retard. Vous savez ma DS, c’est un vrai bolide une fois lancée, mais y’a des jours elle veut rien entendre.
  • Ma première hypothèse serait une mort par étranglement. Je pencherais pour un assassinat, mais il n’y a pas de trace de lutte. Les ongles de la dame sont impeccables, aucun résidu de l’extrémité jusqu’à la lunule, aucun ébrèchement. Tout est parfaitement soigné. De plus, l’appartement est en ordre. Soit le tueur a pris le soin de tout ranger, soit la mise à mort fut nette, voire opérée hors du domicile. Je ne parviens pas cependant à déterminer l’élément ayant servi à la strangulation. Un cordage me paraît peu probable. Si vous pouviez vous renseigner sur le profil de la victime.
  • Bien sûr chef, merci pour le debrief chef.

(suite…)

Délire de haute volée

5 mots imposés : aile/vaporeux/allure/fragrance/décoller

Un souffle chaud me flatte le visage, il me badigeonne les joues de tendresse. Une étreinte réconfortante qui me rappelle mes premiers mois de vie. Je pourrai m’éterniser dans cette sensation de pesanteur apaisante. Le battement d’aile d’un oiseau achève de me sortir de cet état vaporeux. Mes rétines encore voilées de sommeil troublent mon discernement.

Quelques frictions de mes paumes sur les paupières parviennent à rétablir ma vue.

Autour de moi, une sorte de prison faite de bois tressé. Un plancher et quatre murs uniformes puis un toit ouvert sur un ciel de feu. C’est donc cela l’enfer ? Une cage dont la seule issue débouche sur un environnement hostile ? À quatre pattes, j’inspecte chaque recoin, gratte l’osier avec mes ongles. Mes sens encore brouillés par ce réveil impromptu me clouent au sol. Il faut pourtant que je sois debout pour en savoir plus. La curiosité parvient à convaincre mes membres de se mettre en action. Je me lève, non sans mal, en direction de l’âtre incandescent situé au-dessus de ma tête. L’air chaud qui s’y dégage est immédiatement happé dans une sorte de tube évasé relié à ma cage. À peine debout, mes yeux balayent l’endroit et stupeur ! Je réalise que je vogue en plein ciel, à près de cent mètres du haut et dans une montgolfière multicolore qui plus est ! (suite…)

Interférences

Je voudrais tout raconter d’une traite, malgré le chagrin qui m’accable. Je ne peux contenir en moi pareil secret.
 Ainsi, j’entame mon récit d’une main tremblante, garante de gestes mal-assurés. Le temps presse, mais les histoires manuscrites ont pour moi une solennité incomparable. La puissance des mots, passant de la vue à l’esprit du lecteur, a le pouvoir de le saisir tout entier. Cependant, à chaque assaut de la mine sur la page immaculée, le résultat est plus proche de la sismographie que du brûlot que j’ai en tête. Pourtant, mon message est d’une importance capitale. Il doit préserver l’authenticité et la force d’une transcription brute, sans brouillons ni fioritures. Tel Kerouac, seule une prose spontanée, crachée sans filtre sur le frêle papier saura véhiculer les émotions qui me traversent.

J’agrippe alors une vieille machine à écrire. Une Remington que je conserve pour quelques séances d’écritures singulières ; lorsque je me prends pour Hemingway, attendant l’inspiration derrière des vapeurs d’alcool et de tabac vanillé. Dès lors débute un concerto de touches enfoncées et de retour chariot tintant sous mes doigts crispés. Seulement, à la lecture de ce jet d’encre ininterrompu, voilà que mon rimmel vient se poser çà et là sur mes paragraphes incendiaires. Mes notes se troublent puis se noient sous diverses bulles humides. Mes sentiments, sitôt traduits en lettres, se mélangent dans le sillage de mes pleurs pour devenir un fleuve informe alimenté par des impacts de gouttes disparates. (suite…)

Spore : jeu de jambes

Depuis notre naissance, elle n’a eu de cesse de me défier. Elle voulait toujours me dépasser, me précéder dans la vie. On la trouvait plus adroite, plus longiligne et moi, j’étais son pendant un peu gauche.

Régulièrement, nous nous lancions dans des courses absurdes. Cela débutait par une simple marche. Elle faisait un pas, j’en faisais un plus grand, et ce, jusqu’à gambader comme des dératées. Cette fois-là, je fis une entorse à mon code d’honneur en lui assénant un croche-pied sournois.

Nous voilà toutes deux dans le plâtre, à égalité. Elle boude, mais ça me fait une belle jambe !

L.P
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