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« Mes chers compatriotes, je vous ai menti. De toute manière, vous ne m‘avez pas élu pour mon programme, personne ne les lit vraiment. Je ne respecterai pas le mien, cela va de soi. Vous m’avez peut-être élu car j’apparaissais comme le moins pire ; pour contrer untel, suivre la tendance ou simplement parce que je m’exprime relativement bien. Sur ce dernier point, je tiens sincèrement à vous remercier. Nous avons eu le président normal, vous aurez désormais un dirigeant transparent. Eh oui peuple français, j’ai menti durant l’intégralité de cette campagne présidentielle dans le seul but de la remporter et de pouvoir vous présenter aujourd’hui mes véritables intentions. Cette manœuvre est hautement condamnable j’en conviens, malhonnête je le concède, consternante je suis d’accord, effrayante je le conçois. Elle s’est avérée l’unique procédé pour imposer des lois fortes, justes et nécessaires.
École, Emploi, Europe. Franchement, vous y avez cru à ce triptyque poussiéreux et hypocrite ? Mon projet se veut le plus ambitieux jamais porté. Pour le réaliser, nous allons devoir faire des sacrifices, des concessions. Je ne peux vous garantir une transition en douceur. Les changements seront radicaux, parfois brutaux pour certains ; aussi violents que les défis qui nous assaillent.
Écologie, Équité, Épanouissement, voilà mon véritable slogan.
Ma première mesure est la suivante : modifier la constitution afin d’octroyer les pleins pouvoirs au président de la République avec effet immédiat.
Mesdames, messieurs, Françaises, Français, je serai pour les prochaines années votre dictateur. Dictateur certes, mais un dictateur altruiste. La fermeté au service du bien-être collectif.
J’entends déjà les voix s’élever. “Comment ? Une dictature en France ? Vous n’avez pas honte de bafouer notre belle et solide démocratie ?” À celles-ci je répondrais que la démocratie à bon dos. Tantôt brandie comme prétexte à la guerre dans de lointains pays aux sous-sols riches, tantôt balayée sur notre propre territoire lorsqu’il s’agit de faire passer quelques lois impopulaires. Ma dictature se veut au service du peuple. Des mesures fortes pour le bien de tous et pour une répartition des richesses plus égalitaire. Le fameux ruissellement semble s’être heurté à une canalisation bouchée.
“Communiste ! Sale rouge !“. Il est vrai que mon projet emprunte certaines des théories fondatrices du communisme, à cela près que je compte bien les imposer, ces règles de partage et d’entraide.
Vive la nature, humaine et originelle, vive la France !” »
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Il est cinq heures, Paris s’éveille sous un léger brouillard. Il fait écho aux sentiments confus qu’éprouvent la plupart des âmes du pays. Un flou artistique vient envelopper les élections les plus ubuesques jamais observées. Plus fort que les États-Unis, il fallait le faire ! Corentin, 22 ans, se lève discrètement pour ne pas déranger Manon, accablée d’un sommeil profond. Il se dirige vers la cuisine, traînant son corps longiligne et disloqué. Perdu dans ses pensées, embrumé par l’onirisme évanescent qui se heurte aux évènements de la veille, il prépare son café.
En attendant que le nectar ne soit propulsé hors du conduit central de la cafetière par le truchement de la vapeur sous pression, il se plonge dans les récentes actualités. Son écran de téléphone éclaire sa face juvénile d’étudiant en sciences politiques.
Le jour commence à poindre timidement alors qu’un sifflement émane de la gazinière. Corentin, décontenancé par les quelques brèves qu’il a glanées, décide de lancer la radio pour espérer des éclaircissements quant à la situation électorale, mais surtout pour convoquer une présence à ses côtés en cette matinée si troublante. Quelques minutes plus tard, Manon fait irruption dans la cuisine. Les cheveux en bataille, le visage encore légèrement bouffi et son corps dissimulé sous un t-shirt XXL.
- Pardon, je t’ai réveillé en allumant la radio ?
- Non non t’inquiète, j’ai envie de savoir s’il y a du nouveau moi aussi.
- Écoute, c’est toujours une sacrée pagaille. Les partis concurrents et le président sortant y voient une chance d’annuler le scrutin et de relancer des élections. Bizarrement, l’armée est muette sur le sujet. On parle également d’un mouvement de grève gigantesque si le régime de dictature est confirmé.
- Wow, il faut peut-être envisager de quitter le pays non ?
- C’est une possibilité. On n’a pas évoqué ce cas de figure en cours, mais si on s’appuie sur le Vénézuéla ou bien le coup d’État au Brésil en 64 ça ne sent pas bon du tout.
- Fiou, quelle histoire. Ça commence à me faire paniquer. J’ai un peu de famille en Suisse, je vais les contacter.
- Après, certains commentateurs n’excluent pas le canular. Même si Thierry Panama ne sort pas de nulle part, sa carrière politique demeure récente et assez peu fournie.
- C’est étrange comme canular, mais j’espère de tout coeur que ce soit seulement ça.
- De toute façon, une grande interview est prévue ce soir à 20h. On devrait être fixé à l’issue de celle-ci.
- Sur quelle chaîne ?
- Toutes.
- Oula, ça part mal…
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