Blog Littérature : nouvelles, poémes, histoires courtes et jeux d’écriture

Le blog de littérature CYNIQUETAMERE est avant tout un lieu d’expérimentations littéraires : poésie, nouvelle, jeux d’écriture, etc. L’idée étant de s’imposer une rigueur et une fréquence de publication afin de peaufiner sans cesse notre style d’écriture et de narration.

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Nouvelle : Cent coups de tonnerre

I.

Depuis la terrible explosion survenue tôt le matin, seul le cri des cigales parvenait à percer le lourd silence qui enveloppait l’amas de tentes disposées en quinconce.
Sur une colline trônant aux abords de la ville, 20 000 gamins attendaient là que les choses aillent mieux. Que les grands hommes arrêtent de jouer avec le feu, arrêtent de se chamailler. Leur enfance s’évaporait un peu plus chaque jour. Les visages se durcissaient à mesure qu’ils comprenaient la situation. Les journées consistaient à lutter contre la chaleur et la pénurie de nourriture. Certains erraient hagards, suçant des cailloux pour tenter vainement de tromper la faim. Mais le soir, lorsque les cigales stoppaient leurs frictions, s’en suivait un concert de sanglots à travers le camp. Les bambins ne pouvaient retenir leurs larmes et alimentaient un requiem des plus déchirants. 

La puissance du soleil se faisait de moins en moins intense, il entamait sa chute en teintant le ciel d’un nuancier orangé. Sa descente à l’horizon était poussive, telle une lente agonie. On pouvait presque entendre un râle émaner des derniers rayons rasant les cultures en terrasses qui s’étendaient dans la préfecture. On ne distinguait bientôt plus qu’une petite sphère difforme, un jaune d’œuf prêt à rompre sa pellicule pour déverser une lave tiède sur la vallée.

Un vieillard et une jeune femme observaient la scène alors que les dernières onces de lumières quittaient le paysage pour rejoindre le soleil et sa couche. Symbole d’espoir et de renouveau, aura-t-il la force d’éclairer une nouvelle fois l’ignominie humaine ?

– Il paraît que c’est sur notre péninsule qu’il apparaît le premier chaque matin.
– J’ai bien peur qu’il ne se lève plus jamais.
– Ne dîtes pas cela Hito-San, nous nous devons de rester forts, pour les enfants, pour la patrie !
– Nous ne méritons ni sa lumière salvatrice, ni sa chaleur réconfortante. Après les évènements effroyables de cette semaine, il a toutes les raisons de nous plonger dans les ténèbres. Dans une sombre torpeur permanente.
– Mais, nous sommes à deux doigts de gagner la guerre. Mon fiancé se bat en ce moment même pour notre liberté !
– J’en doute fort et quand bien même, toute l’humanité a perdu. Le soleil est mort. Mort de honte et d’effroi. Et le plus triste, c’est que la haine et l’obscurité nous vont si bien.

Les deux adultes se turent alors que le ciel déployait une nuit horriblement sombre. La noirceur s’étendait et engloutissait chaque parcelle de terre, empoignant les cœurs déjà bien malmenés et prenant ses aises comme si elle s’installait pour une durée indéterminée. À deux pas de là, une fillette blottie contre un arbre avait perçu quelques bribes de la conversation. Elle se rendait chaque fin d’après-midi aux abords du camp, à l’endroit où la vue était la plus dégagée. Elle guettait le retour illusoire de ses deux parents. (suite…)

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Nouvelle à la Bukowski – Pension de l’amour

26 jours de mer putain. Un bail que j’avais plus enquillé de la sorte. Pas loin d’un mois dans ce rafiot pourri. On se demande comment il flotte encore le bordel. J’ai l’impression d’être devenu un de ces poiscailles difformes qui planquent leurs sales gueules préhistoriques sous les rochers. Du poisson à remonter tous les jours. Du ragoût de poisson à becter tous les jours. Plus de goût dans la bouche, plus d’odorat. La face tellement bouffée par le sel et le soleil qu’on dirait un chêne centenaire.

Ces cons-là savent y faire. Ils nous filent la moitié du salaire au moment de l’escale. Tout le monde sait bien qu’on va se précipiter dans le premier bar à putes de la jetée. 26 jours à boire de la vinasse tiède et à se branler sur une photo de soubrette qu’un des gars a eu le chic de faire tourner.
Je m’imagine enchaîner les verres de ginja devant des croupes portugaises. Le bateau pénètre l’embouchure du Tage. On est intenables. La soirée s’annonce salace et je sens déjà mes bourses se vider. Je me lèverai le lendemain, fauché, mais soulagé. Obligé de reprendre le large et cette satanée besogne pour gagner ma croûte.

L’océan agité aspire les âmes. Il nous dépouille du peu d’humanité présente dans nos cœurs vagabonds. Nous laisse à la merci de nos besoins primaires.

Merde, voilà que je cause comme un philosophe.

Les gars s’enfilent des rasades sur le quai de débarquement quand je débarque à mon tour. (suite…)

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Nouvelle : Le trompettiste

I

Nicolas avance d’un pas mal-assuré sur le faux plat qui mène au lycée. Une route quotidienne aux allures de Mythe de Sisyphe dérisoire. La pierre à porter étant remplacée par le poids d’une timidité maladive. C’est le milieu de l’automne, Nico évite soigneusement les tas de feuilles qui n’ont pas encore été engloutis par les pelles des agents du comté de San Francisco. Il craint d’y rencontrer une déjection canine et par-dessus tout d’être surpris dans cette situation peu avantageuse. De là vient une haine des chiens. La résultante en réalité d’une peur de ces êtres trop énergiques et imprévisibles. Ils ne manquent jamais de le faire sursauter lorsque, perdu dans ses pensées, un cri orphelin l’arrache de son état lunaire. Le souffle haletant il découvre alors une bête au regard vide, aboyant sans raison derrière un portail quelconque.

Le trajet vers l’enseignement soporifique apparaît à la fois long et court. Poussif par sa monotonie, mais trop bref, car il symbolise les derniers instants de répit avant les interactions imposées par d’autres humains. Chaque avancée alimente l’appréhension et fait grossir la boule, le rocher qui pèse sur son estomac.

Nicolas est un grand échalas, légèrement biscornu, mais au potentiel de séduction certain. L’adolescence ne l’a pas épargné, le plongeant très vite dans un mutisme féroce accompagné d’une incompréhension des relations humaines. Il compte tout de même quelques amis d’enfance et surtout, son professeur de musique, véritable idole du jeune homme.

Malgré un talent indéniable et terriblement précoce, personne ne l’a jamais entendu sortir un son de sa trompette excepté M.Garett. Derrière des cheveux mi-longs et grisonnants qu’il discipline tant bien que mal se cache un enseignant passionné. Un de ces rares professeurs qui se donne à chaque cours. Il pourrait transmettre le goût de la cadence à n’importe quel péquenaud. La musique coule dans le moindre de ses vaisseaux ; de sa chevelure luisante d’un mélange de pento et de gras jusqu’à son âme teintée de jazz. Son visage est quelque peu marqué. M.Garett approche de la cinquantaine et n’a pas toujours été un professeur rigoureux et attentionné. Une vie de jazz-clubs, de tournées et l’ingestion régulière de diverses substances n’ont pas épargné sa gueule jadis harmonieuse. Une vie de débauche, difficilement évitable lorsqu’on est un bon jazzeux et qu’on côtoie la crème de cet art parfois sombre. Néanmoins, ce passé tourmenté lui confère une sorte de légitimité. (suite…)

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Le chanteur des îles berlengas

  • Joao ?
  • Quoi ?
  • Cela fait combien de temps que l’on stagne sur ce lopin de terre ?
  • Tu fais chier Alvaro.

Joao et Alvaro n’étaient pas de mauvais bougres. Il est vrai que 25 années à répéter les mêmes gestes les avaient rendus quelque peu aigris.

  • Non, mais tu dois avouer que les journées sont ennuyeuses. Le travail n’est pas trop harassant, si ce n’est ce maudit soleil, mais notre appétence pour la boisson et notre complaisance dans l’immobilisme nous fait mourir à petit feu.
  • Et allez c’est reparti, monsieur se croît grand penseur et nous ressort ses discours à la mords-moi-le-nœud. Apporte-moi les cordages veux-tu, on a un nouvel arrivage.

Alvaro s’éloigna du quai en direction d’un cabanon aux couleurs brûlées par la chaleur.
La peinture pullulait en un amoncellement de cloques disparates. Sa démarche de long vieillard dépenaillé, malgré une vigueur certaine, rendait ses actions laborieuses, hors du temps. Il faisait partie de ces âmes sans âge. Difficile de dire si l’alcool avait creusé ses traits prématurément ou si le grand air couplé à un travail physique avait retardé l’effet des années. Il oscillait entre 40 et 60 ans, tout dépendait de l’heure qu’il était.
Un pantalon qui bâille, des sandales en cuir de vache élimées et un marcel peuplé de tâches intrigantes cachaient tant bien que mal une bedaine généreuse. Elle semblait avoir été façonnée et entretenue avec soin au fil des ans.

  • Moi quand j’étais enfant, je m’imaginais braver les flots à la recherche de terres vierges ; voguer par-delà l’horizon pour défier les tribus anthropophages, renchérit Alvaro de retour du cabanon.
  • Nom de dieu, t’as trop pris le soleil sur ta sale cabèche ma parole ! répliqua Joao un brin agacé.
  • C’est juste, vois-tu, qu’accueillir des troupeaux uniformes, tous plus blancs et grassouillets que ceux de la veille, les voir paître et cuire leurs teintes blafardes sur notre îlot, j’en ai assez.
  • Et c’est quoi le plan alors ? Piquer le rafiot de Soares au prochain débarquement de bestiaux et mettre le cap sur les Amériques, tels deux corsaires à bord d’une nef majestueuse ? Ou mieux ! Recruter une demi-douzaine de rameurs bien bâtis, entasser du pain, des viandes, et du vin aux sombres feux puis festoyer comme au temps d’Homère en implorant la bonne grâce des dieux ?
  • Ce serait notre Odyssée à nous, rétorqua Alvaro.
  • Mais te connaissant, j’ai peur qu’à peine arrivé en terre exotique tu ne t’acoquines avec la première indigène qui passera la croupe au vent, et que tu ne finisses en méchoui dans une de ces célébrations cannibales.
  • Et bien tu vois Joao ! Quand tu veux toi aussi tu fais preuve d’imagination pour nous gratifier de douces aventures.

(suite…)

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Du sommeil au coin des yeux – Poème alexandrins

Il te reste un peu de sommeil au coin des yeux.
Il a laissé d’infimes traces sur ton être ;
De discrets indices d’un périple audacieux,
Une suite intrigante de formes et de lettres.

Il te reste un peu de sommeil au coin des yeux.
Je sens les vestiges de ta fugue nocturne ;
J’aimerais me blottir au moindre de ses creux,
Y demeurer tel un invité taciturne.

Il te reste un peu de sommeil au coin des yeux.
Dès lors qu’ils s’entrouvrent, la brume se dilue ;
Les paysages alentour deviennent ennuyeux,
La bravoure laisse place à la retenue.

Il te reste un peu de sommeil au coin des yeux.
L’esprit oscille entre réel et rêverie ;
Cette vie éphémère se meurt peu à peu,
Ne laissant derrière elle qu’une peau engourdie.

Léon Plagnol

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La vieille dame qui repeignait le moulin

Voilà près de vingt ans que le moulin ne tournait plus. Jadis symbole de la prospérité du village d’Odeceixe, il surplombait le hameau avec bienveillance et fierté.

Les maisonnettes aux teintes pastel peuplaient ce dôme insolite. Des ornements guillerets jonchant l’unique route en béton qui menait au sommet, et au moulin endeuillé. Autrefois bariolé d’un blanc crépi et d’une ceinture aux touches bleutées comme l’azur, il trônait telle la croix protectrice de certains villages pieux.

La farine et l’eau, synonyme de pain ; synonyme de vie et d’une sérénité timide. La mise en route des pales chaque matin, balayait les malheurs de la veille avec la promesse de journées lumineuses, faites de travail et de chants à la gloire de ce chasseur de famine. Ainsi, le vent venait lécher les habitants encore vaporeux dans leur couche et raviver doucement leur flamme, leur vigueur.

Aujourd’hui la vieille dame entame une énième ascension de la route bétonnée. Un chemin malmené par les années, criblé de trous rebouchés par quelques bonnes âmes ; à la manière d’un patchwork grisonnant et increvable.
C’est une matinée déjà étouffante. Il n’est pas loin de onze heures et elle piétine sans broncher sur la route du moulin.
(suite…)

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Nouvelle : Confluence

Tout est arrivé si vite. Elle l’aperçut dès son entrée dans la ville. Il déambulait majestueusement le long d’un immense parc arboré. Elle sut immédiatement qu’elle devait le rejoindre.

Je menais une vie paisible jusqu’à présent. J’ai quitté mes parents et ma bourgade de montagne pour me jeter dans le grand bain comme on dit. Seulement, j’ai tendance à me faire happer par mes passions. Elles se déclarent soudainement telle une myriade de tourbillons indisciplinés. Leur attractivité est bien trop forte pour que j’y résiste. J’entends encore ma mère qui s’évertue à me dire : « Sonia, ne te laisse pas submerger de la sorte. Apprends à contrôler tes émotions et ton impulsivité ».
Je me suis efforcé de contenir mes pulsions tout au long de ma jeune vie, de ne pas faire trop de vagues, mais cette fois-ci cela semble différent.
À la vu de cet adonis, j’ai senti comme des remous aux confins de mon être. Cela ne m’était jamais arrivé auparavant. Ce fut bref. J’ai tout de même pu distinguer ses larges épaules, sa posture imposante. Solidement ancré, il voguait avec détermination, non sans une forme de grâce.

Je donnerai tout pour connaître sa destination, son but qui paraît si crucial. Moi je n’ai pas vraiment de projet. Je viens de débarquer dans cette nouvelle ville, mais je ne prends pas le temps d’observer les alentours. Je n’ai que faire de ces jolies rues pavées, de ces maisons anciennes et bigarrées qui jalonnent les quais. Ni même cette espèce de colline surplombée d’une sublime basilique. À présent, ma seule volonté et de rejoindre cet homme, il se dirigeait vers le sud.

À quelques pas de là… (suite…)

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Pensée portugaise #1 : Introduction

« Naviguer est nécessaire, vivre ne l’est pas » – Fernando Pessoa

Car si vivre consiste à subir les tumultes, à quoi bon s’infliger les réveils quotidiens ?
Voguer permet des avancées fluides sans pour autant s’agiter. Dériver nous mène avec légèreté vers des lieux insoupçonnés. Je ferme les yeux et les lignes ondulées se succèdent, similaires, néanmoins toutes singulières. Le sel infiltre mes pores puis s’associe au soleil pour briller sournoisement mon épiderme si pâle. Il me fait comprendre que je n’ai pas ma place sur cette surface humide et les éléments qui se déchaînent ne cessent d’appuyer son propos. Mais une brève halte hors du plancher des bovins ravive les sens en bousculant les certitudes. Vulnérable cloporte à l’échelle de cette immensité, qui oublie de s’étonner de son improbable existence. Sur un vieux tronc d’arbre ou à bord de majestueuses galères, le phénomène de flottaison nous berce d’histoires à s’approprier, de contrées à explorer et d’âmes à côtoyer. Le mouvement prime la destination. L’immobilisme est préjudiciable. Tenter d’attirer à soi les remous du large est lâche, la gratification inexistante.
Immerge ta souche et chevauche-la, pense à ce que tu cherches sans trop l’idéaliser. N’oublie pas le chemin inverse vers le port d’attache, car partir n’est pas une fuite, mais une quête pour mieux revenir.

L.P

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Nouvelle : L’accoutumé

Temps de lecture : 3/4 min.

I.

Chaque soir, il se dirige vers son lit d’un pas lent, redoutant ce passage obligé qui vient ponctuer une journée qui ne fut pas assez productive à son goût. Enfant, l’abandon aux bras de Morphée lui était des plus difficile. Il n’aimait pas perdre le contrôle. Penser aux huit longues heures durant lesquelles il serait inconscient, livré aux songes et à un univers si abstrait lui donnait le tournis. Nul sentiment d’inachevé ou de temps gâché à l’époque, seulement la peur de ce qui pourrait advenir pendant cette pause hors de la vie, ce suspend d’appartenance au monde et la crainte de ne jamais se réveiller.

L’appréhension du coucher s’est peu à peu changée en contrainte du repos. S’astreindre au sommeil pour ne pas en subir les conséquences à la naissance du jour suivant. Pouvoir tenir une journée de plus parmi ses semblables et trouver l’énergie nécessaire pour assurer les obligations qui jalonnent le quotidien.
Seulement, lorsque les lumières s’estompent, que la pénombre enveloppe les corps engourdis et que la conscience s’évapore, la sienne demeure quelque peu. Un léger sursis qu’il essaie tant bien que mal de dissiper. (suite…)

Nouvelle travail chomage écriture

La somme due

Lorsque l’on boite, on se remémore les plaisirs simples d’une balade en bordure de quai, la voûte foulant fièrement le pavé dans une démarche naturelle, le corps en parfaite autonomie, alternant les mouvements dans une chorégraphie maîtrisée.
Lorsque l’on souffre, d’une maladie bénigne ou d’un mal plus grand, il nous arrive d’envier les jeunes actifs emplis de vie, de maudire leurs mines rayonnantes et de leur souhaiter les pires atrocités dans un excès d’orgueil incontrôlé.
Lorsque l’on meurt, on aimerait que tout s’arrête avec soi. Que les rues s’éteignent, que les êtres déposent le bilan et deviennent poussière. Un pot de départ sous le signe de l’égoïsme donc. Ou alors, sur le rassemblement utopique des âmes qui, dans leurs derniers instants, s’effritent et se mélangent pour former un seul et unique amas. Un tas de cendres universel et tolérant.

Je sens que c’est bientôt mon tour. (suite…)