Délire de haute volée

5 mots imposés : aile/vaporeux/allure/fragrance/décoller

Un souffle chaud me flatte le visage, il me badigeonne les joues de tendresse. Une étreinte réconfortante qui me rappelle mes premiers mois de vie. Je pourrai m’éterniser dans cette sensation de pesanteur apaisante. Le battement d’aile d’un oiseau achève de me sortir de cet état vaporeux. Mes rétines encore voilées de sommeil troublent mon discernement.

Quelques frictions de mes paumes sur les paupières parviennent à rétablir ma vue.

Autour de moi, une sorte de prison faite de bois tressé. Un plancher et quatre murs uniformes puis un toit ouvert sur un ciel de feu. C’est donc cela l’enfer ? Une cage dont la seule issue débouche sur un environnement hostile ? À quatre pattes, j’inspecte chaque recoin, gratte l’osier avec mes ongles. Mes sens encore brouillés par ce réveil impromptu me clouent au sol. Il faut pourtant que je sois debout pour en savoir plus. La curiosité parvient à convaincre mes membres de se mettre en action. Je me lève, non sans mal, en direction de l’âtre incandescent situé au-dessus de ma tête. L’air chaud qui s’y dégage est immédiatement happé dans une sorte de tube évasé relié à ma cage. À peine debout, mes yeux balayent l’endroit et stupeur ! Je réalise que je vogue en plein ciel, à près de cent mètres du haut et dans une montgolfière multicolore qui plus est !

Je regagne aussitôt le sol dans un état de panique hautement justifié. Qu’est-ce donc que cette histoire abracadabrantesque ?! Dans mes derniers souvenirs, je me trouvais sur le toit de mon entreprise. Un de ces immeubles sans âme, en plein centre-ville. Fin prêt pour le grand final : un saut carpé avec réception plat ventre sur le macadam. Une détresse profonde et un sentiment d’inutilité notoire face à un monde de plus en plus consumériste m’avaient contraint à ce choix funeste. Me voilà donc au purgatoire ? Une prison volante me sommant d’attendre mon verdict ? Ou bien l’enfer consisterait à errer pour l’éternité dans cette minuscule nacelle, forcé d’observer à jamais ce monde que j’ai voulu quitter brutalement ? Je refuse de croire qu’une montgolfière sans pilote m’ait sauvée de mon envol suicidaire.

Ce méli-mélo de pensées me donne le tournis. Je décide de me relever pour prendre l’air. Le paysage se dévoile à nouveau et je m’y attarde cette fois-ci. Je n’y trouve aucune similitude avec le quotidien gris et morne duquel j’ai souhaité m’extirper. Une brise serpente habilement sur ma peau, un silence englobe l’allure presque au ralenti de mon véhicule. Je sens que ma présence ne dérange en rien l’équilibre de la nature alentour. Sitôt, une sérénité m’envahit; je crois reconnaître l’Anatolie centrale au gré du dédale rocailleux qui défile. Où vais-je, qui suis-je et pourquoi ? Désormais cela m’est bien égal.

Une multitude de nouveaux horizons s’offrent à moi. Je pourrais me nourrir des vents, me galvaniser de soleil; être le gardien de ces terres sauvages empreintes de vives fragrances. Survoler la zone le jour puis le soir venu, élire domicile dans un amas de grottes troglodytes. Je sens poindre un sourire, le premier depuis des années.

En scrutant mon domaine, j’observe du remue-ménage au loin. Serait-ce un appel à réaliser mon premier sauvetage en tant qu’humble gardien d’Anatolie ? En abaissant le feu du ballon, je m’approche de l’emplacement d’où je vois s’agiter de petits êtres humains. À mesure que je descends, les contours de leurs gestes prennent forme. Ils semblent bel et bien appeler à l’aide, une chance que j’ai pu apercevoir leurs signaux de détresse. À quelques mètres du sol, j’ai l’étrange impression que ces têtes me sont familières. À peine ma montgolfière posée qu’ils m’assaillent de paroles, notamment une femme :

  • Mais enfin Benjamin tu es complètement malade ! Cela fait plus d’une heure que tu nous survoles. Qu’est-ce qui t’a pris lors du décollage ? Tu aurais pu nous tuer !
  • Comment ça qu’est ce que j’ai fait ?
  • Tu te moques de moi ? Nous venions à peine de décoller que tu t’es mis à suffoquer puis tes yeux se sont imprégnés de sang. Tu nous prenais, le pilote et moi, pour ton patron et ta collègue. On a tenté de te ramener à la raison mais tu semblais possédé ! Enfin, tu nous as jeté par-dessus bord avant de déclamer vouloir te foutre en l’air pour quitter ce monde capitaliste insensé.
  • Oula. Décidément j’avais vraiment besoin de vacances. On a bien fait de venir en Turquie, je trouve l’Anatolie magnifique et tellement relaxante chérie.
Léon Plagnol
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