Comme chaque vendredi matin, je me lève tant bien que mal, maudissant cette pathétique sonnerie qui m’extrait du sommeil. Y’a pas à dire, c’est encore plus dur de se réveiller lorsqu’on n’a pas d’obligations. Pas de femme ni de patron pour vous forcer à entrer dans une énième journée, copie quasi conforme à celle de la veille. Je me passe de l’eau sur le visage, observe ma mine lasse et descends les deux étages de ma résidence. Une inspection quotidienne dans la fente de la boîte aux lettres me renfrogne un peu plus. Toujours rien. Cela fait bientôt deux mois que j’ai envoyé mon manuscrit à la plupart des maisons d’édition que je connais. J’ai fait ça à l’ancienne, sur un beau papier relié. Ça m’a coûté un bras et une parcelle de forêt à bien dut y passer quelque part.
D’une démarche un brin mollassonne, je me dirige à la cave et y sors ma bicyclette. Un vieux bolide Peugeot qui grince. C’est une plaie dans les montées, mais je l’aime bien. Une longue descente m’amène en centre-ville. Malgré les nuages, l’air est doux. Un vent légèrement iodé lèche mon visage, la vitesse y fait poindre quelques larmes. Je me faufile à travers un embouteillage. Voir tous ces cons coincés dans leur voiture me redonne le sourire, j’arrive aux abords du Nelly’s. J’attache mon vélo à un poteau, sur le trottoir d’en face. Il ne vaut rien, mais j’y tiens et je préfère pouvoir garder un œil dessus.
Le café ressemble à la plupart de ces lieux branchés. Trop sains, trop chers, mais soyons honnêtes, on s’y sent bien. Une jolie blonde m’accueille tout sourire. Elle a une queue-de-cheval et un tablier, il n’en faut pas plus pour attiser un début de désir. D’autant qu’elle me rappelle une fille que j’ai connue à l’université, aussi excitante qu’agaçante. Une boule de nerfs que l’on meurt d’envie de mater. Jusqu’à quand vais-je conserver ces réflexes adolescents faisant naître des pensées obscènes à chaque nouvelle rencontre ?
Aussitôt, je me recentre sur l’objectif de ma venue, à savoir noircir quelques pages blanches de ma prose balbutiante. Je sors un calepin élimé et l’ordinateur pour quelques recherches éventuelles. Je commande un café au lait, un œuf au plat et deux tartines beurrées sans m’attarder sur le corps de la serveuse. Je griffonne le plan d’une nouvelle à la va-vite puis, ingurgite mon petit déjeuner américain en espérant qu’il déclenche quelques inspirations bukowskiennes. (suite…)