Lien vers la première partie (sinon tu comprendras rien): Partie 1
Standard se préparait pour le diner. Il décida de s’y rendre sobre. Si d’ordinaire il ne rechignait que rarement aux vertus de l’alcool, cette fois-ci, il ne fallait pas prendre le risque de vomir. Il brossa soigneusement les cheveux restés fidèles à son crane, puis ses dents, et il empoigna son vélo. Le restaurant se trouvait dans un quartier éloigné, qu’il ne fréquentait jamais. Il adopta un rythme modéré pour ne pas dégouliner de sueur devant sa nouvelle amie. Mais l’été n’était pas clément avec les pauvres bougres de son espèce. Le soleil tabassait jusque tard et la fraicheur se faisait douloureusement attendre.
Il arriva à l’heure convenue, et cacha son vélo derrière des poubelles. Un peu plus loin, il s’arrêta devant une vitrine de magasin pour qu’il puisse étudier son allure, et s’apprêta tranquillement comme s’il était dans sa chambre. Il remonta son pantalon qui avait fait le chemin inverse pendant le périple à bicyclette. Une fois ses écueils vestimentaires surmontés, notre héros se dirigea vers le restaurant d’un pas excessivement rapide pour ses petites jambes. Il était prêt à voir sa belle. Pas question de perdre une seconde de plus.
« Bonsoir, Monsieur. C’est pour une personne? »
« Non, non, j’attends quelqu’un. Peut-être est-elle arrivée ? Avez-vous vu une femme plutôt verte ? »
« Nous n’acceptons pas les alcooliques, Monsieur ! Je vous prierais de… »
Standard sortit la carte et s’empressa de la donner au réceptionniste.
« Vous voulez parler de Mme Natacha ! Monsieur, elle est tellement plus que ça ! Elle est un souffle chaud qui tourmente la cime des grands arbres ; elle est une caresse, une alizé de printemps qui effleure le bourgeon prêt à éclore ; elle est cette brise rafraichissante qui étreint et apaise après une harassante journée de labeur ; elle est cette prairie poudrée de rosée, parée de sa robe humide, prête à affronter les chaleurs de l’été ; elle est cette pluie torrentielle qui s’abat contre la Terre et détruit vignes et vergers.
Vous comprenez, Monsieur, elle côtoie des sommets qui dépassent l’entendement. Il serait réducteur et sommaire de ne parler que de sa délicieuse peau de jade. Elle est aussi, ni plus ni moins, que le triomphe du règne végétal.
« Je n’avais pas fait attention. » répondit difficilement Standard. « Quand pourrai-je la voir ? »
« Elle ne devrait pas tarder, elle est souvent en retard. Quand on est la plus noble expression de la Nature, on peut se permettre quelques excentricités. »
Standard commençait à rougir dangereusement. Il n’était pas prévu que la belle soit si tumultueuse. D’ordinaire, il évitait tout type de contact avec ce genre de personnages : ils étaient nocifs pour son cœur mal entretenu. Standard était planté devant le comptoir et ne bougeait plus. Il souffla plusieurs fois, si fort que le dévoué réceptionniste lui demanda s’il ne voulait pas un verre d’eau ou un sucre, miskina.
« Tenez, la voilà ! »
Avec toutes les difficultés du monde, Standard fit pivoter sa carcasse pour apercevoir la dame verte dans son véloce coupé-sport. Comme s’il lui était impossible d’arriver modestement, elle créa un épais nuage de poussière, sauta de son véhicule et se dirigea d’un pas décidé vers l’entrée en séparant ce même nuage. Elle franchit la porte, se rapprocha de Standard et lui adressa un doux baiser sur la joue.