I
Voûté et hagard, il débarque dans le tintamarre du hall de gare.
Le visage bouffi et luisant, il avance d’un pas lent, mais décidé. Alors qu’il se hâte pour se propulser dans la rame prête à partir, les regards intrigués des usagers convergent étrangement vers sa personne. Une fois en place, seuls ses doigts en mouvement pianotent le rectangle tenu au niveau de son bas ventre. Un visage congestionné, souffrant de reliefs turgescents qui reste de marbre. Le train poursuit sa course programmée, défiant la pénombre naissante. Il semble s’épanouir, esquissant presque un sourire alors qu’un bleu luminescent inonde son être courbé. Une nuque bombée qui fusionne avec un crâne focalisé sur un bruit blanc constant.
Inconscient de ce qui l’entoure, le bossu est figé dans l’instant.
Habitué aux agressions des sens depuis son enfance, il avance docilement dans les artères artificielles de la ville. Une fois l’écran condamné à un repos cyclique inévitable, il tente de se rehausser. En balayant d’un bref coup d’œil les différents passagers, il constate une dizaine de mines ahuries le fixant avec insistance. Les regards inquisiteurs alternent tour à tour entre le visage d’Idris et la poche avant de son bleu de travail. En se sentant démasqués, ils détournèrent leurs pupilles à la hâte, dans un mouvement grotesque, pour se focaliser avec un intérêt disproportionné aux publicités défilant sur les vitres-écrans du wagon.
Seul un enfant continue de le scruter avec vigueur, ses gros yeux tout ronds emplis de curiosité. L’impudeur de la jeunesse, l’absence de filtre, annihile toute forme de gène chez le bambin. Coiffé d’une coupe au bol fraîchement réalisée, il se retourne vers sa mère en tirant sur sa robe et énonce de sa voix fluette : « Maman, qu’est-ce qu’il a mis dans sa poche le monsieur ? »
« Ce n’est rien mon chéri, juste un vieil objet datant d’une époque révolue ». Elle porta son fils au niveau de la poitrine comme pour masquer ses joues légèrement rosies par cette prise de parole en public.
II
« Bonjour monsieur Allard, vous avez passé une bonne journée ? »
« … »
« Je vous ai préparé un cocktail de fruits revitaminés, il est sur la digi-table du salon. Un condensé des nouvelles du jour concocté par mes soins est par ailleurs disponible à votre guise en prononçant play face au mur-projecteur »
« … »
Cela fait plusieurs semaines que l’assistant personnel d’Idris distille des monologues de sa voix robotique à travers le spacieux appartement. Les verres et autres attentions culinaires émises par celui-ci s’amoncellent dans la cuisine et sur la table du salon. Idris a débranché son robot ménager et la plupart des ustensiles à commande vocale qu’il possède. Son assistant personnel est malheureusement inclus dans le bail et ne peut être éteint.
Chaque jour c’est la même rengaine, Idris rentre du travail la mine blafarde, les traits tirés et le regard soucieux. Il se dirige machinalement vers son atelier, une pièce étriquée remplie d’objets électroniques d’un autre âge. Ça grouille de câbles et de gros composants, inutilisés depuis de nombreuses années au vu des progrès considérables de la nanotechnologie. Seul son haut statut d’ingénieur lui permet de détenir pareil reliques. Une autorisation qu’il bafoue régulièrement lorsqu’il les exhibe en public. Ravivant un lourd passé dans lequel la sécurité peinait à suivre la course au progrès.
Cependant, aujourd’hui semble différent des autres. Idris était presque de bonne humeur. Apaisé tout du moins. Comme s’il avait terminé un de ces projets qui vous triture le cortex par une complexité exacerbée, et dont le dénouement vous procure une sensation de plénitude et d’accomplissement plaisante à souhait.
à suivre …
https://cyniquetamere.com/2018/10/31/le-bossu-de-notre-rame-partie-34/