« Fais moi l’amour, ce soir »
« Pas envie »
« Pourquoi tu ne me touches plus François. Cela fait des mois que nous n’avons rien fait »
« Je travaille tout le temps, je n’y suis pour rien. »
« Je ne te fais plus envie, c’est ça » dit-elle, vulnérable. François ne répondit rien.
Un sentiment de dégoût envahit Aurore. Minutes après minute, cette impression désagréable grandissait. Elle ne laissait rien paraître. Pendant quelques secondes, l’Aurore robuste d’autrefois réapparue. Elle jeta un regard à François, qui semblait amusé par la situation. Cette scène avait lieu régulièrement, avec le même scénario. A chaque fois, elle était trop faible pour confronter son bourreau, qui prenait plaisir à la tyranniser.
« Tu es misérable François. Je n’accepterai plus d’être ton jouet. Plus jamais»
Elle le haïssait.
« Misérable ? Moi misérable ? Mais regarde toi ma pauvre, regarde toi ! » répliqua François.
François était terriblement jaloux d’Aurore. Jaloux du succès considérable de sa femme.
Il enviait sa réussite, sa perfection. Encore aujourd’hui, il faisait en sorte de la contrôler. Il avait plongé Aurore dans une mer d’illusions, et ne relâchait jamais l’étreinte, de peur qu’elle lui échappe.
Avec l’aide du temps, il avait réussi à prendre le dessus. Il l’avait dépossédé de l’essence qui faisait sa splendeur. Il l’avait écrasée, réduite à néant. François était le voile qui l’emprisonnait, pendant que le temps la tourmentait.
Aurore sortit du lit précipitamment. Elle courut dans la cuisine et se servit un verre d’eau.
Elle le but d’une traite, puis reposa le verre, rageusement.
François accourut à son tour.
« Tu n’es plus la femme dont j’étais amoureux, Aurore. Tu n’es plus celle que j’ai épousée.
Tu n’es plus qu’une ombre.»
Il la regarda dans les yeux. Avec mépris, il lui souffla : « Tu n’es plus rien…»
Aurore baissa la tête, résignée. Tout était confus. L’enchevêtrement de haine, d’amertume et d’alcool créait en elle un nébuleux brouillard. Elle était submergée par cette étreinte de passions. Prise d’une folie soudaine, Aurore lança le verre en direction de François. Ce dernier l’évita, et le verre explosa contre le mur en mille morceaux. François s’avança vers Aurore et la gifla.
La violence du choc la projeta à terre.
François se tenait debout au milieu des débris de verre. Il examina sa femme avec un sourire arrogant, comme satisfait. Puis avec une voix aussi douce qu’hypocrite, il lui dit :
« Tu viens te coucher maintenant ». Il tourna les talons, laissant Aurore derrière lui.
Sonnée, Aurore tentait péniblement de se remettre d’aplomb, s’appuyant aux poignées des tiroirs, comme si elle grimpait à l’échelle. Elle tremblait de tout son corps. François se dirigeait nonchalamment vers le lit, quand brusquement, il poussa un cri sourd, et s’immobilisa.
Après quelques secondes, il s’écroula lourdement sur le lit.
Aurore l’avait transpercé. Elle avait porté l’attaque au niveau du cou, imparable. Elle avait agrippé un couteau de cuisine puis s’était ruée sur son mari. Cette frénésie passagère avait décuplé ses forces, ainsi que sa dextérité. Elle s’était faufilée derrière François. Puis dans un geste de désespoir, elle avait planté la lame. La blessure était profonde. Du sang jaillit, éclaboussant Aurore, et recouvrant les draps d’une mare écarlate. Les sanglots envahirent Aurore.
Elle se précipita sur son mari, et l’enveloppa de ses bras, comme pour le consoler. Aurore pleurait.
Pour la première fois depuis tant d’années.
François n’était plus.
A ce moment précis, un sentiment de plénitude absolue s’empara d’Aurore. La frustration et la tristesse s’étaient évanouies à travers cet acte insensé, laissant place à un répit salvateur.
Elle déposa le corps inerte de celui qu’elle avait aimé sur le lit et marcha vers le tourne disque.
Aurore était recouverte de sang, mais on pouvait distinguer la pureté liliale qui faisait sa splendeur.
Elle était belle à nouveau.
Elle lança un vinyle de Chopin, puis se servit un verre de vin. Elle observa la scène. François gisait dans le halo de lumière, paisible. Elle le trouvait beau. Aurore se tenait au milieu de la pièce, sereine. Sa vie était définitivement brisée, pourtant, elle demeurait impassible. Elle avait vaincu son mari. Mais son combat contre le temps, lui, était perdu d’avance.
Aurore décrocha délicatement le collier de son cou, et l’admira une dernière fois. Puis comme un pécheur qui dépose son fardeau à la croix, elle le plaça à coté du cadavre, sans regrets.
Elle ouvrit une fenêtre, recula de quelques pas, pris une grande inspiration et se laissa enivrer par les accords de Chopin.
Elle ouvrit les yeux, et tel un phénix prenant son envol, dans le calme de la nuit, Aurore sauta.
F.L